Bien avant d'être sur place, j'avais déjà l'intention de profiter de la Cordillère des Andes pour faire un peu d'alpinisme d'andinisme et tenter une ascension. Je zappe l'étape du 5000 et vise directement un sommet à plus de 6000 mètres. La Paz est le point de départ idéal pour cela. A 3500 mètres d'altitude environ, je dois déjà avoir une bonne quantité de globules rouges, et la Cordillère Royale est toute proche. Malgré quelques passages très raides, l'ascension du Huayna Potosi à 6088 mètres n'est pas trop technique, c'est parfait, j'aurai assez à gérer avec le mal des montagnes (je ne sais pas si je l'aurai), le manque d'oxygène et les conditions climatiques (c'est la période idéale, après la saison des pluies et avant l'hiver, mais il peut quand même faire jusqu'à -20°C...). 

L'ascension se fait sur deux jours, mais les agences proposent généralement un troisième jour facultatif pour se familiariser au maniement du piolet et des crampons. C'est surtout pour moi l'occasion de faire une étape supplémentaire, et donc une chance en plus de m'acclimater à l'altitude. Je me retrouve dans un groupe avec trois autres Français (Sophie, Anne-Laure et Jérôme) et nos deux guides boliviens (Carlos et Mario). Arrivés en minibus à 4700 mètres d'altitude, nous posons tout notre équipement (habits, matériels, sacs de couchage...) au premier refuge et partons escalader une paroi du glacier tout proche. Nous sommes à 4900 mètres, plus hauts que le Mont Blanc, et le moindre effort nous coupe le souffle. Au moins la fatigue nous aidera à dormir un peu cette nuit au refuge. Le soir, nous y rencontrons Jo, un Allemand ayant dû redescendre depuis le second refuge à 5130 mètres à cause de violents maux de tête dus à l'altitude. Pourvu que ça ne m'arrive pas...

Escalade d'une paroi de glace
Cairn
Huayna Potosi

Le lendemain matin, nous montons notre chargement au second refuge. En chemin, nous croisons les personnes ayant tenté l'ascension durant la nuit. La plupart ont réussi, mais toutes sont épuisées et nous conseillent d'y aller vraiment lentement car elles ont souffert. Nous voilà prévenus. Nous arrivons au refuge avant midi, et après le déjeuner, nous nous installons sur de grosses pierres au soleil. Nous sommes censés "dormir" de 18h à minuit pour partir vers 1h du matin. Avec cet horaire décalé et l'altitude, personne n'est vraiment sûr de réussir à dormir, alors autant garder ses forces pour l'ascension.

Réveillés à minuit et quart alors que je commençais seulement à m'endormir, c'est le jour J. J'ai juste un léger mal de tête, rien de bien grave. Ce n'est pas le cas d'une Française d'un autre groupe qui ne pourra pas tenter l'ascension et devra redescendre directement au premier refuge. Après nous être habillés chaudement, avoir petit déjeuné et nous être équipés, nous partons dans la nuit et le froid, crampons aux pieds et piolet à la main, à deux cordées de trois personnes. Il est 1h30. Après ce que l'on nous a dit la veille, nous demandons à nos guides d'avancer lentement. Et nous avons sans doute raison, car nous rattraperons plusieurs cordées parties sur un rythme bien plus rapide. Malgré la lumière des frontales et la pleine Lune, nous ne distinguons que grossièrement le paysage. Nous nous efforçons de respirer le mieux possible, de bouger les doigts et les orteils qui sont gelés, de manger régulièrement et de boire de l'eau qui se transforme petit à petit en glace. Je tente aussi les feuilles de coca, ce n'est pas très bon et je n'ai pas constaté d'effets, mais ça ne peut pas faire de mal.

Finalement, à 6h30, après 5 heures de marche et une dernière arrête pentue et étroite où un faux pas coûterait cher, nous atteignons le sommet, à 6088 mètres ! Le vent s'est arrêté et l'on peut se permettre de rester un quart d'heure pour attendre le lever du Soleil, et de retirer une paire de moufles pour prendre quelques photos. Et la vue est magnifique. A l'est, le Soleil se lève sur une mer de nuages qui recouvre les Yungas et l'Amazonie. Au nord et au sud, la Cordillère Royale et ses sommets enneigés, et à l'ouest, l'Altiplano, de La Paz jusqu'au Lac Titicaca et l'Ile du Soleil. Entre les deux, l'ombre pyramidale du Huayna Potosi s'étend sur des dizaines de kilomètres. A 6h45, il faut redescendre, marcher pour se réchauffer, et surtout profiter que la neige soit encore dure. Lors de la descente, nous pouvons enfin admirer tout ce à côté de quoi nous sommes passés à l'aller, notamment les crevasses bordées d'immenses stalactites que nous avons contournées. Il nous a fallu seulement une heure et demi pour retourner au refuge. Après une autre heure et demi de repos, nous reprenons le chemin du refuge du bas puis de la route où nous attendrons le minibus qui nous ramènera à La Paz, complètement épuisés mais surtout très heureux d'avoir gravi notre premier 6000.

Au sommet !
Photo souvenir